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Despelote : Le jeu de foot Équatorien qui va vous scotcher ! (Notre avis)

Despelote vous perce le cœur et vous touche en plein dans l’âme en un rien de temps. En fait, il le fait avant même de commencer : dans le menu, il y a une petite place ensoleillée, animée par des voix en fond sonore et quelques pigeons qui roucoulent. Puis, le son incomparable : celui du pied qui frappe le ballon ⚽. La balle entre dans le cadre, rebondit lentement, traverse la place faisant s’envoler les pigeons importunés. Il y a déjà beaucoup de cette poésie populaire qui fait de Despelote une expérience précieuse, capable d’évoquer une partie fondamentale de l’enfance de nombreuses personnes : une matinée tranquille, les rires des gens, ce bruit sourd de la balle qui rebondit. 😌

Despelote est un jeu vidéo équatorien signé Julian Cordero, fils d’artiste, puisque ses parents Sebastian Cordero et Isabel Dávalos sont respectivement réalisateur et productrice de Ratas, ratones, rateros, le premier film équatorien à être présenté au Festival du cinéma de Venise et à susciter un certain enthousiasme chez les critiques. Il est reconnu comme le premier pas du cinéma équatorien vers des films avec des standards de production internationaux. Il est important de le savoir, car Despelote est une histoire de premières fois, de moments où l’Équateur s’est uni sous un seul drapeau ; que ce soit le cinéma ou le sport, cela importe peu. 🇪🇨

Golazo!

La fin de l’été 2001 est très importante pour les Équatoriens. Pas seulement pour les fans de football, ce serait réducteur. Julian commence en nous parlant des Jeux olympiques de 1996, lorsque Jefferson Leonardo Perez Quezada, marathonien équatorien, a remporté les deux premières médailles d’or de l’histoire du pays. Il nous le présente comme un événement majeur : dès le lendemain, à Quito, la ville où Julian a grandi, tout le monde marchait comme Jefferson et la marche était devenue un sport national. Lui n’était pas encore né : né en 1997, son premier vrai témoignage sportif de l’Équateur est cette longue qualification pour la Coupe du monde de football en 2001. 🥇

Tout commence par un magnifique travelling sur la télévision du salon de la maison Cordero : c’est Pérou – Équateur. C’est le match qui inaugure la qualification pour la Coupe du monde. Considérant cependant que la devise de l’équipe est : "nous jouons comme nous ne l’avons jamais fait, nous perdons comme toujours", il n’y a pas beaucoup d’espoir que les choses se passent différemment. L’Équateur ne s’est jamais qualifié pour la Coupe du monde, il n’y est jamais allé de près. Malgré cela, les Équatoriens aiment le football, il suffit de faire un tour devant la maison de Julian pour trouver des hordes d’enfants qui se passent le ballon, ou qui, au besoin, transforment n’importe quoi en ballon, même les bouteilles en verre. Julian lui-même est un passionné, et passe ses journées à jouer à Tino Tini’s Soccer ’99 sur la console, agaçant sa petite sœur qui voudrait juste regarder ses dessins animés. ⚽🎮

Cette fois-ci, cependant, c’est différent : l’Équateur marque deux fois et gagne contre le Pérou. À ce moment-là, les quatre matchs suivants s’avèrent fondamentaux ; il y a la possibilité concrète que l’équipe puisse s’envoler de l’autre côté de la planète, dans l’Olympe des grands, et que le monde sache que l’Équateur peut réellement rivaliser avec le Brésil – qui remportera la Coupe du monde de 2002 -, contre qui ils ont gagné en mars de cette année-là, ou avec l’Argentine, qui elle, les bat deux à zéro le 15 août, assombrissant le rêve d’arriver en Corée du Sud. Bref, qu’entre les grandes équipes d’Amérique latine, il existe aussi l’Équateur. 😎

Il serait cependant injuste de réduire Despelote à une histoire sur le football. À un certain moment, Julian dit qu’après la qualification : "tout le monde à Quito devait se réveiller tôt à cause du décalage horaire pour soutenir l’équipe". Il utilise le verbe devoir, et c’est précisément là le cœur de la question. Car Despelote est le récit d’un pays, des personnes qui l’habitent, de ses primats. Les Jeux olympiques, le cinéma, le football, ne sont que des occasions pour raconter le sentiment d’appartenance à quelque chose de grand, d’identitaire. 😌

Il le fait aussi en décrivant à merveille l’endroit où Julian est né, Quito, avec ses ruelles labyrinthiques, ses parcs, les figures récurrentes et légèrement comiques, comme le maître au visage en colère toujours prêt à confisquer le ballon des gamins qui le dérangent, ou le type constamment au téléphone qui promène les chiens. Ou les époux Cordero, qui parlent souvent de films, des dernières sorties, de la production cinématographique du pays.

Il s’agit souvent, en effet, d’un jeu vidéo d’enfants qui écoutent les discours des adultes. Distraitement, peut-être, en arrière-plan, alors qu’ils sont cachés sous une table à une réception de mariage, se chuchotant d’étranges comptines et riant comme des fous. Ou peut-être la nuit, assis sur le siège arrière de la voiture, avec la petite sœur qui dort et les grands qui parlent de ce qui ne va pas dans leur vie, dans la relation ou dans les familles respectives. Julian, qui n’a que le football en tête, dessine distraitement sur la vitre. Seule une petite partie de son cerveau est dédiée aux problèmes des adultes. L’histoire de Despelote est celle de la joie d’apercevoir tes amis, de loin, qui ont un ballon sous le bras et t’appellent à jouer avec eux. Et à ce moment-là, tu te fiches même d’être habillé élégamment, ou que maman t’ait absolument interdit de te salir. Tu veux juste taper dans ce ballon. ❤️

Un jeu vidéo néoréaliste

Despelote est réalisé avec une technique très fascinante, qui superpose des images réalisées à partir de photos réelles de Quito à des dessins qui semblent tracés par un enfant et qui, habituellement, représentent les éléments et les personnes avec lesquelles on peut interagir. C’est une trouvaille intéressante, qui met en scène le souvenir comme une mémoire estompée qui devient nette seulement quand elle concerne les protagonistes (les époux Cordero, ces quatre amis historiques et évidemment le ballon), mais qui se limite à la suggestion en ce qui concerne les architectures de Quito. Le mérite de l’atmosphère authentique qui s’en dégage – à la fois nostalgique et joyeuse – revient surtout à un travail exceptionnel sur les sons ambiants et sur le doublage en espagnol. L’utilisation d’une esthétique aussi brute, le travail sur les dialogues, l’envie de mettre en scène une atmosphère populaire, rappelle même le néoréalisme cinématographique. On a l’impression d’être assis là, à prendre le petit-déjeuner chez les Cordero, avec les grands-parents qui se disputent, et la petite sœur qui parle de ses devoirs avec sa maman. 🏘️

Les intermèdes des vrais matchs de football qui accompagnent l’Équateur vers la qualification pour la Coupe du monde sont également des protagonistes. Les écrans qui diffusent les matchs sont omniprésents : on les voit chez les Cordero, ou dans la vidéothèque de la maman, à la réception de mariage, au-delà des vitrines où les Équatoriens habillés en ultras suivent le destin de leur équipe. Ces superpositions entre les émissions réelles et le monde virtuel idéalisé par Julian, sont protagonistes d’au moins deux moments qu’il est impossible de ne pas suivre avec la chair de poule, tandis que cet enfant assiste émerveillé à un morceau d’histoire de son pays et, en dehors de chez lui, les klaxons des voitures deviennent fous de joie. 💯

Despelote est un jeu vidéo particulier, qui fait peu de choses, très peu en vérité : la plupart du temps, on tape dans un ballon en écoutant distraitement les conversations des adultes. Il te donne cependant la liberté de fouiner un peu partout, à condition de respecter les horaires de maman. On peut passer l’après-midi à jouer avec les amis, ou peut-être aller flâner à Quito, pour surprendre quelques conversations d’adultes, ou voler le ballon à ce groupe d’adolescents au parc. Tout revient ensuite sur les rails ; Julian prend souvent le dessus pour nous raconter le passé et le présent de Quito, ou pour nous offrir des parenthèses de lyrisme absolu. ✨

C’est une histoire pleine d’amour et de poésie, qui met en scène le point de vue d’un objet inanimé, ce ballon qui est le véritable protagoniste de l’histoire, auquel on revient constamment tout au long de l’histoire. C’est aussi un récit qui nous enseigne à quel point il est peu important de gagner : l’histoire nous dit que l’Équateur sera éliminé pratiquement tout de suite au premier tour de la Coupe du monde (par l’Italie, d’ailleurs, qui lui infligera deux buts très lourds !). Mais ce n’est pas ça l’important. Ça ne l’a jamais été. 😉

Conclusions

Despelote est un documentaire interactif sur un pays, sur un sport, sur une vie. C’est l’histoire de l’Équateur aux prises avec sa première qualification pour une Coupe du monde de football. Julian Cordero raconte Quito, la ville où il est né, et l’été 2001, quand tous faisaient partie d’un événement collectif qui a amené l’équipe nationale équatorienne parmi les champions, et a transformé le sport non plus en une présence chuchotée dans la vie des enfants, mais dans le protagoniste absolu des journées des grands. C’est une œuvre sincère, délicate, avec laquelle il est difficile de ne pas s’émouvoir. Même et surtout si on n’aime pas le football. 🏆

PRO

  • Délicate, sincère, une histoire qui touche
  • Utilise beaucoup de techniques typiques des documentaires cinématographiques
  • Le doublage en espagnol contribue à créer une atmosphère authentique

CONTRE

  • Appartient à un genre particulier : on fait peu, ce peu c’est taper dans un ballon
  • Parfois, il est difficile de suivre toutes les discussions qui se déroulent autour de Julian

Auteur/autrice

  • portrait Franck rédacteur laportedesjeux.fr

    Je suis un rédacteur passionné de jeux vidéo et de jeux de rôle, avec un œil affûté pour les mécaniques de gameplay, les univers immersifs et les scénarios bien ficelés. Curieux, rigoureux et créatif, j'aime décortiquer chaque jeu pour en révéler les subtilités, qu’il s’agisse de blockbusters AAA ou de pépites indépendantes. Je tente d'avoir une plume dynamique et accessible qui s’adresse aussi bien aux néophytes qu’aux joueurs chevronnés.

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